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UNE GUERRE DE FIL

 

Sans meurtre. Préméditée certes, lentement, très lentement. La guerre ne tient qu'à un film. L'objectif est atteint lorsque les mouvements des mains croisent les "désirs de couture". On aurait pu l'appeler ainsi, ce film lié à la répétition, à la poursuite d'un mot, et à son inscription qui est une blessure qui plie et prend les formes d'un corps. Lentement, très lentement, la saveur est tendre, l'arrachement sera d'autant plus inattendu. Dans l'acte de broder, l'acte d'offrir se mêle à celui d'inciser. La broderie éveille de petits assassinats sans conséquence apparente, elle peut revêtir les contours d'un rite, elle est goût nerveux pour le tatouage. La guerre encore, mais pas celle des hommes, l'autre joyeuse qui vit au cœur de la beauté, qui demande la beauté comme un don et une conquête, la guerre des belles donc, des épouses, des filles, des sœurs, des mères, la guerre avec l'émerveillement qui transforme, et que des mains que l'on dit discrètes ont orchestrée, avec précision, pour donner l'envie. Les "désirs de couture" : un cinéma qui cache et dévoile. Qui déchire.

 

Lentement, très lentement, le tissu s'est fait poreux pour le mot qui s'inscrit fougueusement, dans un face-à-face sans complaisance avec le lecteur. On peut lire ces mots comme des armes adressées, à qui sait risquer sa main, ou la retirer, les mots sont des serments où brûle un feu qui ne veut pas se déclarer. On peut également lire les mots comme des caresses, des félines, ivres. Les mots sont des danseuses dont les figures se balancent au gré des vents, des horaires, des marches. Conduire vers un seul mot, c'est comme vers l'échafaud: on attend le châtiment ou l'assentiment. Avant la mise à nu.

 

Les combinaisons farouches. Elles inquiètent, elles défient, elles poussent à croire, elles crient. Je découvre une lettre et c'est tout un parcours qui m'est donné à suivre, avec les hésitations rencontrées et la rage qui se devine. Les lectures sont contradictoires. Certaines arrêtent le mot dans sa chute, d'autres l'accompagnent comme un chant vers le ciel. Les lectures induisent l'écorchure dans les rubans de sang, rien ne les apaise. Les combinaisons légères. Familières de l'air. Servant une scène injouable deux fois. Résonnant silencieusement dans la lumière.

 

Les mots auront connu tous les avatars. C'est ça leur beauté tendue, sur l'étoffe, fine. Plantés par des aiguilles pas toujours douces, les mots ont été écrits patiemment, douloureusement parfois j'imagine, dans l'ennui, mais quand l'ouvrage s'achevait je pressens des satisfactions houleuses, des délectations inouïes. À vif, frissonnantes. Et puis j'imagine leur destination vers l'autre via le courrier. Leur envoi vécu comme une dépossession. Un tremblement. Et la réception toujours livrée à l'impatience. Les vêtements de mots racontent, dans des récits qu'il s'agit d'organiser, le temps qui passe, la plainte et les jouissances, l'ornement et la nudité. Les vêtements se portent contre la mort.

Pierre Giquel

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